LES EXPATS : EPILOGUE

Adrien De Hoguet
4 min readOct 6, 2023

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Tout en rangeant la débroussailleuse que Benjamin m’avait prêté, je jette un dernier regard sur le jardin que je venais de remettre en état. Le dernier. Ma carrière de débroussailleur ambulant prenait fin ici, dans le jardin de Claire, une vieille Américaine gentille comme tout. Quand elle apprit mon départ, elle s’insurgea :

  • Mais qui c’est qui va s’occuper de mon jardin maintenant?
  • Je l’ignore. Mais je suis certain que tu me trouveras un remplaçant. Merci pour tout! Bonne continuation!
  • Merci, à toi aussi.

Je remballe mes affaires et repars sur la route bosselée. Mes pensées vagabondent à mesure que je traverse les rues, que je double une vache, que j’esquive un tuk tuk. Dans une semaine tout cela sera fini… Mon billet d’avion était prêt, celui de mon bus acheté. Depuis que je savais que je partais, je n’accordais quasiment plus aucune importance à ce que je gagnais. Quelques petits boulots par-ci par là pour dépanner, juste de quoi payer l’essence et la nourriture. Ça me suffisait amplement.

En chemin, je passe devant le Nowhere bar. Bon dieu, dire que j’avais bossé la-dedans aussi! Dès 8h du matin à servir du Jager et des bières aux piliers- non aux colonnes plutôt- de comptoir de la ville. A aider à coucher sur les canapés des mecs défoncés au speed ou à dieu sait quoi d’autre. A calmer des gens qui gueulaient avec 2,3 grammes en trop. J’étais bien content de ne plus y travailler!

Je continue ma route, passant devant le Bookish, d’ou je peux observer les briques que j’avait peintes en livres. A côté, la petite vieille aux cigarettes. Je lui achète mes dernières clopes, 2 cartouches pour le coup. Maintenant, retour à la maison.

Benjamin est posé sur un canapé dehors, ses bandages plus propres depuis son opération suite à son accident de bécane. Il loge ici en attendant de se remettre. Je me pose à côté de lui. On discute du présent, du don absolu, de l’humain, de sa psychologie…Puis je vais chercher mon rice cooker et ma vieille débroussailleuse 4 temps. Je les emmène à Raivo, un Estonien qui cherche du boulot et est à la dèche. Allez c’est cadeau! Depuis peu, je me désintéresse de tout matériel que j’ai possédé.

Idem, ma bonne vieille Suzuki que je refourgue à Tony, il saura bien la retaper et l’entretenir mieux que moi. Toutes mes archives Ephemeral, données au Bazaar Café. La bas, j’y retrouve Zen, qui revient tout juste du Népal. Marrant, il arrive et moi, je pars! On discute de nos bonnes vieilles conversations philosophiques que j’apprécie tant. Un dernier brin de sagesse avant de partir…

Le temps accéléra à une vitesse pendant ces derniers jours. Il me sembla que j’avais guère de temps pour saluer toutes les personnes que j’avais connu pendant mes 3 ans dans ce pays. En moins de temps qu’il n’en faut pour dire “ouf!”, mon dernier soir à Kampot arriva.

Je conversai avec tout le monde du mieux que je pus, toutes ces bonnes gens, ces bon êtres humains qui bataillaient de leur mieux pour…être heureux tout simplement. On but des coups, on rigola. On m’offrit des drapeaux de prière boudhiste, une pierre d’aventurine, un cahier de notes personnalisé, des bouquins…mais surtout beaucoup de chaleur. Étaient-ce des adieux ou des au revoir? Nul ne le sut à ce moment là.

Le lendemain soir, je me retrouvai à l’aéroport de Phnom Penh, avec mon gros sac pour tout bagage. Il me restait quelques heures avant mon départ, aussi flânai-je sur le parking. Une famille de Khmers patientait elle aussi, dans l’attente de l’avion qui leur amènerait un proche. Sur un tapis posé à même l’asphalte, ils buvaient des bières et mangeaient des brochettes. J’étais assis à côté d’eux, ils m’invitèrent à grignoter avec eux. Ah, la générosité de ces personnes est phénoménale!

Mastiquant un bout de poulet, je repensais à ces 3 ans- et 3 jours, pile poil! J’avais été débroussailleur, prof de français, barman, ouvrier, peintre, journaliste en herbe…l’impression d’avoir vécu 10 000 vies différentes!

L’heure d’embarquer enfin, sonna. En me dirigeant vers l’aéroport, j’eus la conviction que tout allait bien se passer . J’avais 33 ans, 20 dollars en poche en tout et pour tout et une foi indéfectible en la Vie.

J’allai dédier la mienne à devenir un bon être humain et à écrire, faire de belles choses. Et surtout, il était temps d’arrêter de subir les événements. Désormais, j’allai les créer!

En souriant, je pris place dans l’avion, heureux et curieux de ce que l’année 2023 allait m’offrir en France.

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