LES EXPATS, TROISIEME PARTIE : LE DEBUT DE LA FIN

Adrien De Hoguet
7 min readOct 6, 2023

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  • Bon matin!
  • Salut Adri! Installes toi, le café est presque prêt, j’arrive!

Je pose mon sac et mon chapeau sur un fauteuil et contemple mon futur travail. Des bananiers de partout, des pots de fleurs étalés par ci et là, des papayers qui pendouillent sous le poids de leurs fruits… des cailloux, des tas de terre, de graviers, de grosses pierres…Sans parler de l’amas de bibelots de toutes sortes qui s’alignaient le long du mur de la maison. Ouais, avec de la chance, ça allait être un chantier de plusieurs jours. Ça me changerait bien de ma foutue débroussailleuse, encore en panne pour l’occasion.

Noémie posa 2 tasses fumantes sur la table basse. Elle réajuste ses longs cheveux bouclés en chignon, on fume une clope en buvant le café. Après les banalités matinales d’usage, on visite le lieu et elle m’explique :

  • Alors voilà, tu sais que je veux faire une pépinière ici. Va falloir enlever de la terre de cette partie pour faire un étang. Ici, il faut brouetter du gravier pour installer une allée. Tout ce bordel là, on va le ranger- attention aux pots! Et ici, je veux bâtir une serre. Y aura bien sûr tout le système d’arrosage avec les pompes à gérer aussi, mais ce sera pour plus tard.
  • Sacré chantier en perspective!
  • Tu l’as dit…Avec mon boulot à l’ONG plus tous les codes que je dois taper pour chaque plante sur le site, je suis débordée! Bon, allez, on s’y met!

Ainsi commença mon boulot dans la pépinière. Creuser, bêcher, couper, scier, ranger, rempoter, arranger, tasser…et récupérer les poules qui sortaient du poulailler à l’occasion. Même pour quelqu’un qui n’a pas la main verte, comme moi, travailler au milieu de plantes offre une sérénité, une joie d’ œuvrer pour quelque chose de plus grand que nous. Sentir la terre sous ses doigts, observer ces minuscules graines qui se transformeront un jour en majestueux troncs ornés de feuilles, effleurer des mains les pétales colorées des fleurs… Tout cela me rendait VIVANT, j’oubliais la plupart de mes tracas.

Autant j’étais une brel pour connaître le nom des plantes, autant Noémie était une experte 9ème dan. Elle connaissait son jardin sur le bout des doigts. Ça? C’est du glaïeul. Ici? Une plante “éternelle”, très pratique pour ceux qui oublient d’arroser, increvable! Ces plantes là, il leur faut tant d’eau, celles-ci ont besoin de plus d’engrais… A la voir avec son chapeau et sa salopette, les mains dans la terre ou à couper à la machette des coconuts pour l’engrais, on sentait la passion qui l’animait, celle des accrocs des jardins. Ça faisait plaisir à voir.

Même si j’avais du travail, j’étais encore loin d’être vraiment tiré d’affaire. On était à la fin de l’année 2022 et dans quelques semaines, Leang rendait la maison de Nico. Je n’avais toujours pas de plan logement en vue . De plus, mon visa finissait dans 2 mois à peine.

Quand la fin décembre pointa le bout de son nez, beaucoup de personnes partirent en vacances. On m’avait averti que Kampot serait au point mort pendant au moins 2 semaines. 14 jours sans travailler, sans gagner le moindre denier, ça ne m’arrangeait pas! Comme on dit, mieux vaut prévenir que guérir… Je me préparai au pire en m’achetant suffisamment de nourriture . A part pour Noël et le 1er de l’an ou des amis m’invitèrent bien aimablement, je demeurai seul dans la grande maison vide, mon portefeuille se vidant à chaque jour qui passait. Quand tous mes légumes furent mangés, je passai au riz sauce soja.

Cette période, je m’en souviendrai toujours. Le plus dur combat dans ces moments, ce sont les pensées négatives et l’ennui. Je me forçai à rester positif malgré tout, sur chaque action de la journée. J’ai pas de quoi me payer un verre dehors? Bah j’ai encore mes jambes, je peux me balader. Je me fais chier le soir? Continue à sculpter ou à écrire, entraîne-toi au bâton! J’en ai marre de bouffer du riz? Souviens-toi du Dokkodo : sois indifférent à ce que tu manges!

Tout au long de ces “épreuves”, tout ce que j’avais appris de bon et d’utile sur la Vie fut mis en pratique. Se combattre soi-même pour devenir supérieur à celui qu’on était avant . L’acceptation de ma situation, et au final remercier les forces motrices de l’Univers de m’offrir un toit et à manger. Tant qu’on a ces derniers, il n’y a pas lieu de s’inquiéter au final… Tous les grands challenges de nos existences sont là pour nous permettre d’apprécier l’authenticité de la Vie.

Et puis un soir, je reçois un coup de fil de mon frère :

  • Salut ça va?
  • Ça va et toi?
  • Nikel. Ecoute Adri, j’ai une grande nouvelle à t’annoncer.
  • Ah bon? Quoi donc?
  • Eh bien cette année…tu vas être tonton!
  • Mais non! Trop bien! Félicitations! C’est prévu pour quand?
  • Le mois d’août. Et voilà, je sais que t’aimes bien rester au Cambodge, que t’as pas les thunes pour te payer un billet…mais ça ferait super plaisir que tu sois là pour la naissance…

En cet instant, tout changea du tout au tout. J’eus un appel de mes parents, suite à cela. Après une grande conversation émue, j’acceptai finalement qu’ils me payent le billet retour. Ça y est j’avais franchi le Rubicon. J’allai rentrer en France. Mon départ était prévu pour la fin Mars, ce qui me laissait quelques semaines afin de préparer mes affaires- et de payer mon visa!

En guise de logement provisoire, Alex m’avait proposé la Greenhouse. Le hic c’est que c’était loin de la ville. Mais bon, faute de grives, on mange des merles.

Quelques jours plus tard, la plupart des expats étaient revenus de leurs vacances. Le travail allait reprendre. Je retournai quelques jours à la pépinière afin de finaliser certains trucs. Ça avait bien avancé! A la place auparavant déserte du fond du jardin se dressait désormais une serre remplie à ras-bord de pots disséminés sur des étagères en métal ou suspendus au plafond. Le système d’irrigation fonctionnait à merveille, arrosant automatiquement à heures régulières des ses “ pschut pschut” toutes les couleurs du monde.

Le dernier jour de mon travail, on se posa boire une bière derrière la serre. Tony était là aussi. Le soleil couchant projetait ses ombres et ses spectres orangés sur tout le jardin. Un torse de mannequin doré planté en terre- dont j’ai oublié le nom- nous regardait de son sourire sibyllin. A l’ombre du grand palmier sous lequel nous nous prélassions, on se sentait en vacances.

  • Alors bientôt reparti en France?
  • Yes! Je me sens un peu bizarre à cette nouvelle mais bon! J’imagine qu’il était temps…
  • Tu loges ou en ce moment?
  • A Greenhouse, mais c’est la galère, c’est à Pétaouchnok! La distance, l’essence…
  • Eh bah viens chez moi! rétorque Tony. Dans une semaine, j’ai un truc comme la tour, avec 7 chambres!
  • Oui mais tu sais, j’ai pas de quoi payer le loy…
  • Qui te parle de payer?

Ainsi, j’allai me retrouver chez mes vieux amis accrocs du PC. Lucas s’y retrouvait là-bas aussi. Au moins, le logement était assuré!

Une dernière épreuve qui me restait c’était payer mon visa : 90 balles. Par la force des choses, j’allai livrer mes derniers mois à déménager le Bookish et le Bazaar Café. Tout changeait de place décidément!

Pour le chantier du Bazaar, qui se trouvait en face du Karma Traders, je travaillai avec Tobal, un passionné du travail manuel sous toutes ses formes. Il pestait comme un chacal quand y avait une couille sinon, c’était une crème. A nous 2, pendant des semaines, on a : déplacé des centaines de grosses pierres dans tous les sens, aplani le sol, peint des murs, creusé des douves pour la saison des pluies, balayé, planté, déplacé des myriades de meubles, à pied ou en scooter, scié du bambou, le vernir, l’assembler bétonné, cimenté et j’en passe!

Benjamin venait nous donner la patte de temps en temps. A la fin d’une de ces terrassantes journées, on se retrouve tous les 3 à discuter autour d’un verre. On venait tous de petits bleds paumés dans la campagne. Et dans ces coins là, après une rude journée, il est d’usage de boire un coup pour épousseter nos vêtements sales et rafraîchir nos mains rudes ciselées par les multiples tâches qu’elles ont dû effectuer.

  • Quelle journée bon dieu! J’ai le dos en compote!
  • Ah, ce putain de ventilateur! Je comprends toujours pas pourquoi il fonctionne pas! ronchonne Tobal. J’ai trifouillé tous les câbles, pourtant rien! Bordel!
  • Allez assez parlé de boulot pour aujourd’hui! On a fait ce qui devait être fait!
  • On va lui donner une âme à ce lieu! déclare Benjamin en allant pisser.
  • C’est vrai que c’est nous qui posons les fondations. C’est nous qui créons la base d’un environnement qui assurera le plaisir de tous ceux qui y viendront. On peut être fiers les gars, c’est bientôt fini! déclamai-je un peu enivré.
  • Carrément! Allez, au pastis! Ils sont ou les glaçons?

Quelques jours plus tard, je pus enfin me payer mon visa. Pfiou, quel soulagement!

Désormais, il me restait moins d’un mois à passer au Cambodge.

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